Vieillissement et milieux de vie: Aline Charles répond à 3 questions

28 avril 2020

La situation des dernières semaines a jeté un éclairage cru sur les conditions de vie des personnes âgées et plus particulièrement de celles vivant en résidence et en centre d’hébergement. Nous avons demandé à Aline Charles, professeure au département de sciences historiques, chercheuse au CIEQ et spécialiste de l’histoire sociale des femmes, de la vieillesse, de la santé et du secteur hospitalier, de nous parler de l’évolution de ces milieux de vie, sujet de son plus récent projet de recherche.

FLSH — Votre projet de recherche s’intitule «Entre hospices et manoirs de l'âge d'or: le ‘bien vieillir’ au Québec, 1921-1971». Qu’est-ce que le «bien vieillir»?

A. C. — François Guérard (UQAC), Yvan Rousseau (UQTR) et moi-même voulons éclairer cette période étonnamment méconnue durant laquelle les établissements pour personnes âgées sont considérés au Québec comme des lieux où il est désormais possible de bien vieillir. L’État québécois, des professionnels de la santé et des services sociaux, des communautés religieuses, des entrepreneurs et des organismes charitables affirment que ces institutions ne correspondent plus aux hospices-mouroirs du 19e siècle. Ils les disent, tout au contraire, en mesure d’offrir un cadre de vie agréable, sécuritaire et doté des infrastructures de soins ou de loisir nécessaires en fin de vie. Hospices, foyers, résidences et «manoirs de l’âge d’or» en tous genres se développent donc avec une force inédite pour offrir des services déplorables, corrects ou luxueux. Bref, pour nous, la période 1921-1971 correspond à une sorte d’âge d’or pour les établissements collectifs de la vieillesse au Québec.

FLSH — Quels sont les grands jalons de l’hébergement collectif pour personnes âgées au Québec? Y a-t-il eu dans cette histoire un point tournant, un changement de paradigme? 

A. C. — On peut effectivement identifier plusieurs points tournants. Dans la longue durée, cette pratique apparaît dès la fin du 17e siècle, se propage vers la fin du 19e siècle et prend son essor au 20e siècle. Durant cette dernière phase, les années 1950 constituent un autre moment important. Les établissements cessent d’héberger des orphelins ou des infirmes pour se limiter aux personnes âgées. Les «centres d’accueil» financés par l’État se généralisent et les «résidences» commerciales prolifèrent encore plus vite, tandis que les institutions charitables et religieuses s’effacent peu à peu. Des individus plus aisés, plus jeunes et un peu plus d’hommes font aussi leur entrée dans les établissements collectifs qui, jusque-là, recevaient essentiellement des personnes âgées pauvres et vulnérables (en majorité des femmes). Enfin, les années 1970-1980 inaugurent la remise en question des institutions de la vieillesse au profit des services à domicile ainsi que de la mise à contribution des familles et des «aidantes naturelles».

FLSH — Comment l’histoire peut-elle nous aider à comprendre l’actualité, comme celle qui nous touche présentement ?

A. C. — Les établissements pour personnes âgées occupent ces jours-ci une place inédite dans l’actualité. La qualité de leurs services, leur personnel aussi majoritairement féminin que sous-payé, les rôles que doivent y jouer l’État et le Marché font débat. Alarmant ou préoccupant, l’ensemble est souvent décrété sans précédent. Or, plusieurs auteurs signalent que les évaluations actuelles s’appuient sur des références à un passé mal connu, voire inventé, ce qui confère un caractère d’évidence à des évolutions pourtant complexes. Une perspective historique favorise donc, nous semble-t-il, une lecture plus juste des enjeux. Elle permet aussi d’identifier les maillons manquants dans cette évolution de la vieillesse institutionnalisée, entre les hospices charitables du 19e siècle et les résidences plus ou moins luxueuses d’aujourd’hui. Elle contribue enfin à expliquer le nombre d’établissements au Québec, beaucoup plus imposant qu’ailleurs au Canada et dans plusieurs pays d’Occident, la prépondérance du secteur à but lucratif qui fournit aujourd’hui 88% de l’offre, le sous-financement des services à domicile québécois par rapport à la moyenne des membres de l’OCDE et les revers des politiques axées sur le «bien vieillir».

Complément
Écoutez l’entrevue réalisée par Annie Desrochers avec Aline Charles dans le cadre de l’émission le 15-18 (Ici Première Montréal) du 24 avril. L’entrevue est au segment de 17h36.